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Service de Rhumatologie
Professeur Olivier MEYER
Cours DCEM3
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Spondylodiscites bactériennes
Etiologie,
diagnostic, évolution, traitement
Pathologie de l'appareil locomoteur -
rhumatologie DCEM3
Internat n° 289
Une
spondylodiscite est une atteinte inflammatoire vertébrale
(spondyl) et discale (discite).
(Remarque: une atteinte inflammatoire isolée d'une
vertèbre est une spondylite.)
ETIOLOGIE
Une spondylodiscite microbienne est
une infection discovertébrale. Les germes en cause sont le
plus souvent des bactéries: pyogènes ou bacille
tuberculeux (mal de Pott), plus rarement les Salmonelles, les
Brucelles. Rarement le germe sera un champignon: Candida surtout.
Selon le germe on distingue deux
modes évolutifs:
- évolution aiguë en cas de bactéries
pyogènes;
- évolution chronique en cas de tuberculose mais aussi
d'infections à pyogènes refroidies par une
antibiothérapie insuffisante.
Le germe arrive dans le foyer
discovertébral par voie hématogène, par exemple
bactériémie en post-opératoire ou
post-endoscopie urinaire (pyogènes). Le Noir
transplanté d'Afrique est plus exposé à la
tuberculose. Les immunodéprimés et les drogués
feront parfois une forme à Candida albicans.
Une inoculation directe est
très rare (après discographie , nucléolyse
à la papaïne ou cure chirurgicale de hernie discale).
DIAGNOSTIC
A. Circonstances du
diagnostic
Le diagnostic de spondylodiscite microbienne est
évoqué devant deux situations cliniques
différentes.
1. Douleur vertébrale intense en
climat fébrile
- La douleur est à début
brutal: elle est permanente, insomniante, localisée
mais pouvant irradier selon un trajet radiculaire. Elle
s'accompagne rapidement d'une impotence fonctionnelle importante.
L'examen clinique du rachis est alors impossible.
- Il s'y associe des signes
gérnéraux: fièvre avec frissons, sueurs,
abattement: les signes généraux peuvent
être au premier plan au cours d'une septicémie et
c'est secondairement que le patient signale les douleurs
vertébrales.
2. Douleur vertébrale
d'installation progressive d'allure mécanique, puis devenant
plus continue
- Ce qui domine à l'examen clinique c'est la contracture
musculaire paravertébrale et la raideur du segment
vertébral douloureux.
- Tardivement on peut se trouver devant un trouble statique:
cyphose dorsale avec gibbosité, ou inversion de la lordose
lombaire.
- Plus rarement c'est une radiculalgie ou une compression
médullaire lente qui vient révéler
l'affection.
- Un abcès froid paravertébral ou inguinal est
plus exceptionnel actuellement. Il faut savoir le rattacher
à une origine osseuse vertébrale.
3 Clinique muette
C'est plus rare. On évoque le diagnostic a
posteriori devant des lésions radiologiques à type
de bloc vertébral acquis.
B Eléments du
diagnostic
1 Diagnostic positif
Le diagnostic de spondylodiscite repose sur les
éléments suivants.
a. Examens d'imagerie
1. Les clichés standard de face et de profil.
- Au début le premier signe est un pincement discal
global (figure 1).
- Rapidement apparaît une déminéralisation
des plateaux vertébraux adjacents, puis des érosions
donnant un aspect irrégulier aux plateaux vertébraux
(figure 2).
- Une abrasion des bords antérieurs des corps
vertébraux est possible.
- Des géodes, communiquant avec l'espace discal, sont
parfois creusées dans les corps vertébraux sus- et
sousjacents au disque pincé (figure 3).
- Plus tardivement apparaît une condensation des corps
vertébraux et des ostéophytes latéraux,
témoins d'un processus de reconstruction qui accompagne la
guérison.
- On recherche sur les clichés standard une
opacité dans les parties molles témoignant d'un
abcès paravertébral (rétropharyngien sur le
rachis cervical, image en fuseau sur le cliché dorsal
(figure 1), bombement d'un psoas sur le rachis lombaire).
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Figure 1 :
Spondylodiscite dorsale : pincement discal avec abcès
paravertébral droit (image en fuseau) sur le
cliché de face
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Figure 2 :
Spondylodiscite D12-L1 de profil : pincement discal et
érosions des plateaux vertébraux
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Figure 3 : Géodes intrasomatiques de
part et d'autre d'un
pincement discal : mal de Pott D9-D10 de profil
2. Scintigraphie osseuse
- Au début, les signes radiographiques peuvent
étre en retard sur la clinique: la scintigraphie osseuse
est alors d'une aide précieuse, montrant une hyperfixation
localisée.
- Cet examen dépiste d'autres foyers osseux ou discaux,
parfois cliniquement muets.
- A l'inverse, une forme évoluée, refroidie,
découverte après guérison, spontanée
ou non, pose le problème difficile de son
évolutivité éventuelle. Là encore la
scintigraphie osseuse apporte un argument de la plus haute
importance pour la décision thérapeutique.
3. La tomodensitométrie avec injection de produit de
contraste iodé.
Elle montre mieux les géodes intra-somatiques et
l'épidurite sous forme d'une opacité
rétro-discale en "embrase de rideau", ainsi que
d'éventuels abcès dans les parties molles.
4. Mais c'est l'IRM avec injection de Gadolinium qui constitue
l'examen le plus sensible et le plus précoce, montrant
typiquement l'hyposignal discal et des vertèbres adjacentes
en T1, se renforçant après Gadolinium et
l'hyposignal en T2 de ces mêmes structures (figure 4a, b et
c). Les coupes sagittales précisent les différents
étages intéressés, les abcès
épiduraux dans les parties molles ainsi que les signes de
souffrance radiculaire ou médullaire.
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a : séquence T1 :
hyposignal des vertèbres L4 et L5
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b. séquence T2 :
hypersignal des vertèbres L4 et L5
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c. séquence T1 gadolinium
: renforcement du signal des plateaux vertébraux et
du disque L4-L5
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Figure 4 : IRM de spondylodiscite
L4-L5 à pyogènes
b. Biologie
- La VS et la CRP sont élevées.
- Les formes survenant dans un contexte septicémique
peuvent s'associer à une hyperleucocytose à
polynucléaires neutrophiles.
- Une leucopénie est parfois un argument d'orientation
vers une brucellose ou une salmonellose.
- Les hémocultures sont parfois positives.
- Les sérodiagnostics orientent le diagnostic
étiologique: ALSO, antistaphylolysines,
sérodiagnostic de Wright (ainsi que les autres
réactions sérologiques de brucellose: Coombs,
déviation du complément, rose bengale,
immunofluorescence...), sérodiagnostic de Widal.
- Toutes les portes d'entrée sont
prélevées: urines, peau, gorge, ORL, dents, voies
génitales.
- L'IDR à la tuberculine (l0 U) n'a de valeur que
phlycténulaire ou négative.
c. Radiagraphie de thorax
Elle recherche une tuberculose.
d. Ponction-biopsie discovertébrale
L'examen de choix pour confirmer le diagnostic et tenter de
préciser le germe en cause est la ponction-biopsie
discovertébrale au trocart. Elle est faite sous amplificateur
de brillance par voie postéro-latérale; elle permet de
ramener du matériel discal et osseux qui est confié en
bactériologie pour examen direct, cultures sur milieux usuels
et Lowenstein, et en anatomie pathologique qui fait rapidement la
preuve d'une tuberculose folliculocaséeuse. Il n'est pas de
vertèbre qui ne soit accessible à la ponction-biopsie
au trocart ou à l'aiguille.
2 Diagnostic
étiologique
a. Spondylodiscites à pyogènes
b. Spondylodiscites tuberculeuses: mal de Pott
- Clinique
- Tous les étages vertébraux peuvent être
touchés, depuis la charnière cervicooccipitale
(Pott sous-occipital) jusqu'à la charnière
lombosacrée, mais les localisations les plus
fréquentes sont dorsales et lombaires.
- Une localisation viscérale concomitante est
retrouvée dans 20 à 30 p. 100 des cas: poumon,
plèvre surtout, rein, ganglion, foie plus rarement.
- L'évolution clinique est souvent insidieuse
- Les déformations cyphotiques avec angulation, les
abcès volumineux sont des complications tardives.
- Terrain
- Autrefois apanage de l'enfant, elles se voient actuellement
presque exclusivement chez l'adulte non vacciné, le
vieillard autochtone ou surtout le Noir africain migrant ou les
réfugiés d'Extrême Orient
- L'atteinte du Noir africain et des Orientaux est volontiers
multifocale et se caractérise parfois par une atteinte
osseuse épargnant le disque (spondylite pure) à
type d'ostéosclérose centrosomatique. Le scanner
visualise alors habituellement une ou plusieurs géodes
volumineuses ne communiquant pas avec l'espace discal. Parfois
l'affection se révèle par un tassement
vertébral isolé (forme pseudo-tumorale). D'autres
foyers d'ostéite sont souvent retrouvés
grâce à la scintigraphie osseuse et l'IRM:
atteinte d'un arc postérieur (spondylite
postérieure), ostéite costale, iliaque,
crânienne, voire diaphysaire sur un os long. Des
abcès froids s'observent encore parfois sur ce terrain.
Leur développement intrarachidien peut se compliquer de
compression médullaire ou de la queue de cheval. Cette
complication peut aussi être la conséquence d'un
tassement vertébral.
- Aide au diagnostic
Hormis l'enfant et le Noir africain chez qui le diagnostic est
facile, la distinction entre pyogènes et bacille de Koch
est souvent difficile sur les seuls arguments cliniques,
d'imagerie et biologiques. C'est dire l'intérêt de la
biopsie discovertébrale au trocart. Elle apporte des
résultats bactériologiques ou histologiques 8
fois/10 environ, et sera toujours préférée
dans un premier temps, I'abord chirurgical étant
réservé en cas de biopsie percutanée
impossible.
3 Diagnostic
différentiel
Il n'y en a pas. Toute suspicion de spondylodiscite amènera
à traiter. On peut cependant signaler des aspects
radiographiques voisins prêtant à confusion.
a. Spondylodiscites inflammatoires
- Spondylarthrite ankylosante (SPA) évoluée.
L'atteinte est volontiers multifocale.
- Rarement polyarthrite rhumatoïde (PR) avec atteinte du
rachis cervical.
- Quelques observations rapportées de chondrocalcinose
(CCA) vertébrale avec spondylodiscite.
- Spondylodiscite des dialysés de plus de 10 ans. Touche
surtout le rachis cervical, plus rarement le rachis lombaire sans
syndrome inflammatoire biologique.
b. Spondyloses
Citons deux affections:
- les séquelles de maladie de Scheuermann avec plateaux
vertébraux feuilletés et images de hernie
intraspongieuse rétromarginale; les lésions sont
étagées;
- la discarthrose pseudo-pottique, volontiers chez une femme
jeune, de moins de 40 ans: certaines arthroses lombaires
évoluent rapidement vers le pincement discal avec
réaction ostéocondensante bien limitée du 1/3
antérieur des corps vertébraux (figure 5).

Figure 5 : Diagnostic différentiel :
discopathie pseudopottique L3-L4 en IRM.
Séquence T2 = absence d'hypersignal discal
et aspect graisseux en
hypersignal des plateaux adjacents en T2 (et en T1)
Rappelons l'intérêt de la scintigraphie osseuse en
cas de doute diagnostique: les spondyloses fixent très
modérément l'isotope; et l'intérêt de
l'IRM avec séquences T1, T1 Gadolinium et T2..
Rappelons aussi que les métastases et les
hémopathies ne donnent pas d'atteinte discale mais une
atteinte purement vertébrale.
EVOLUTION ET
PRONOSTIC
A. Spondylodiscites à
pyogènes
1 Evolution spontanée
- Elle est rarement régressive.
- Habituellement, il survient en l'absence de traitement:
- une destruction des plateaux et des corps vertébraux
avec risque d'angulation et, selon l'étage, de
compression radiculaire ou médullaire;
- parfois un abcès épidural qui peut compliquer
de telles formes, avec paraplégie de mécanisme
complexe (compression, ramollissement médullaire).
2 Evolution traitée
- Elle est favorable. Elle est suivie sur les signes locaux, la
VS, les radiographies et l'IRM.
- La douleur cède dès la première semaine.
- Les signes radiographiques peuvent évoluer
défavorablement durant plusieurs semaines avant que
surviennent une reminéralisation, des ostéophytes,
parfois un bloc vertébral signant la guérison (3
à 6 mois en moyenne).
B. Mal de Pott
1 Complications
Elles sont le fait des formes non traitées:
déformations (gibbosité), compressions
radiculomédullaires, cachexie, abcès froids qui peuvent
fistuliser. Une aggravation progressive de signes
radiculomédullaires peut s'observer dans les premières
semaines du traitement médical.
2 Evolution favorable
En quelques semaines les douleurs disparaissent.
L'évolution radiographique et IRM favorable est toujours
retardée, identique à celle des spondylodiscites
à pyogènes. Les abcès des parties molles
disparaissent ou se calcifient.
TRAITEMENT
C'est une urgence thérapeutique; il faut hospitaliser.
A Immobilisation au lit
- Une coquille plâtrée est parfois utile pour
calmer des douleurs intenses ou éviter une
déformation consécutive à un tassement
vertébral (mal de Pott).
- La remise en charge se fait après un intervalle
variable selon les cas:
- pyogènes: dès cessation des douleurs;
- mal de Pott: après 1 à 3 mois s'il existe un
risque d'instabilité.
B Antibiothérapie
- Elle sera parentérale au début et associera, en
cas de pyogènes, deux antibiotiques.
- Elle est adaptée au germe. L'antibiogramme est
systématique si un germe est isolé.
- Dans la majorité des cas, il s'agit d'une infection
à staphylocoques
- lorsque le germe est probablement sensible à la
méthicilline on préconise dans l'immédiat
l'association Ceflotaxime 100 mg/kg et Fosfomycine 200 mg/kg
avec relai ultérieur par l'association orale
Fluoroquinolone - Rifampicine
- lorsque le germe a une forte probabilité
d'être d'origine hospitalière, donc
résistant à la Méthicilline, on a recours
dans l'immédiat à l'association Vancomycine -
acide fucidique ou Fosfomycine.
- Pour les bacilles gram négatif, on préconise une
des trois associations suivants :
- soit C3G + Fosfomycine
- soit C3G + Aminoside
- soit Fluoroquinolone + Aminoside
- En cas de signes de gravité (choc,
immunodépression) et en l'absence de germe, on commencera
par une triple association :
- soit C3G + Vancomycine + Fosfomycine
- soit C4G + Vancomycine + Aminoside
Une adaptation du traitement sera effectuée dès
l'antibiogramme obtenu en sachant que les fluoroquinolones ont une
très bonne pénétration tissulaire osseuse,
sont efficaces per os en relai de la voie IV, mais ne doivent
jamais être utilisées seules en monothérapie
pour éviter l'émergence de résistances.
- En cas de mal de Pott on fait:
- une antibiothérapie quadruple antituberculeuse,
pendant 3 mois;
- puis une bichimiothérapie les 9 mois suivants.
Les traitements inférieurs à 12 mois exposent aux
récidives.
- La chirurgie n'a plus que des indications exceptionnelles:
- laminectomie décompressive en cas de compression
médullaire brutale (les compressions lentes
régressent souvent grâce au seul traitement
médical);
- évacuation d'un volumineux abcès froid; en
fait, la plupart des abcès guérissent avec le
seul traitement médical.
- Il faut traiter la porte d'entrée.
C Durée du
traitement
- Les spondylodiscites à pyogènes sont souvent
traitées pendant 2 à 3 mois (1 mois
d'antibiothérapie double parentérale puis
monothérapie orale), soit 1 mois aprés le retour de
la VS à la normale.
- 12 mois paraissent suffisants pour les spondylodiscites
tuberculeuses.
- La surveillance est essentielle:
- clinique: à la recherche notamment de complications
neurologiques (ROT des membres inférieurs par exemple)
à type de compression médullaire et de
complications de décubitus;
- biologique: VS ou CRP
- radiologique
- IRM pour les abcès et l'épidurite.